-A la découverte des astéroïdes-

Piazzi, Bode... : les découvreurs

Julien Totems-Fabre

D’après ‘l’Astronomie » de Janvier 2001

1. La loi de Titius-Bode

          En 1766, Titius, professeur de mathématiques à Wittenberg, en traduisant l’ouvrage du Suisse Charles Bonnet, “Contemplation de la nature”, remarque que les distances des planètes au soleil composent une suite à progression arithmétique! Il écrit : 

“Divisons la distance entre le Soleil et Saturne en cent unités. Mercure, première planète, se trouve placée à l’unité 4, ensuite arrive Vénus à l’unité 7, c’est-à-dire 4+3, puis c’est le tour de la Terre à l’unité 10, soit 4+6, puis Mars à 16, 4+12.”

          Cette suite se poursuit avec Jupiter à 4 + 48 = 52 unités, et enfin Saturne à 

4 + 96 = 100 unités. Dès lors, le mathématicien constate l’absence de planète à 

4 + 24 = 28 unités.

L’astronome Johann Bode ne manquera pas de s’intéresser à ce fait, en apprenant la trouvaille de Titius. En 1772, il publie cette découverte, et lance ainsi l’idée qu’il pourrait y avoir une planète entre Mars et Jupiter.

          La loi de Titius-Bode, bien qu’empirique, donna à réfléchir à de nombreuses générations d’astronomes. Simple coïncidence, expression mathématique d’une loi physique inconnue ou encore élément dû à un évènement dans la formation du système solaire ? La vérité est aujourd’hui cernée : il semble que cette progression se retouve dans tout système à symétrie axiale, c’est-à-dire tout ce qui ressemble à un tourbillon, depuis celui de notre chasse d’eau jusqu’au disque protosolaire. Elle reste un bon moyen mnémotechnique pour retenir les distances des planètes au soleil en unités astronomiques.

          Mais le plus important pour Bode fut cette planète manquante, et son intérêt pour elle permit plus tard la découverte des astéroïdes, nous verrons comment. 

Bien qu’elle ne fut pas recherchée aussi ardemment que l’aurait voulu Bode en raison du caractère empirique de la loi qu’il avait publiée, on comprendra en partie grâce à elle l’existence d’un regroupement d’une nouvelle classe d’astres entre Mars et Jupiter, les astéroïdes.

2. La société de Lilienthal

          Le caractère empirique de la loi n’attira à Bode la considération que d’un nombre limité d’astronomes.

Néanmoins,lorsqu’un petit groupe d’astronomes, s’intéressant à la découverte des nouvelles planètes se forma, il accepta avec joie l’adhésion de Bode. Guidé par l’empressement de ce dernier à découvrir la “planète manquante”, il s’intéressa plus particulièrement à sa recherche.

Il avait comme membres principaux Franz von Zach et Joseph Lalande, astronomes respectivement allemand et français de renommée déjà importante dans leur milieu. Voulant les lancer à la recherche de la planète, à laquelle il avait déjà prévu de donner le nom d’Héra, von Zach comprit rapidement qu’ils avaient peu de chance de la découvrir s’ils étaient seuls à la chercher. Il décida donc d’organiser une série de réunions avec d’importants astronomes pour leur demander leur aide. Il présenta notamment le projet à Freiherr, possesseur d’un superbe observatoire, à Olbers, excellent calculateur d’orbites de comètes, puis, dans la ville de Lilienthal près de Bremen, à Schoeter et Harding, détenteurs de nombreux instruments d’observation.

          Ce fut donc au cours de ces réunions que von Zach proposa à ces astronomes la fondation d’une Société plus concrète dont le but principal était d’entreprendre une révision complète des catalogues et des cartes des étoiles zodiacales (le long del’écliptique donc proches du plan de l’orbite de la planète), afin de disposer d’une base solide pour trouver la planète cachée. 

La Société fut officiellement établie le soir du 20 Septembre 1800 à Lilienthal sous la protection du prince d’Angleterre et de Hannovre. Schroeter fut nommé président et von Zach secrétaire perpétuel.

          On décida logiquement de diviser le travail de fouilles en 24 zones de une heure d’ascension droite et de 15° de décinaison, réparties sur l’écliptique. Chaque partie serait donc attribuée à un associé, chacun devant effectuer une révision complète de sa zone en observant jusqu’aux plus petites étoiles et en vérifiant naturellemnt leur position et déplacement éventuel. Un groupe de 24 astronomes, y compris les six membres fondateurs de la Société fut donc formé, parmi lesquels Oriani, Bode, Méssier.

3. Bode et la découverte de Piazzi 

          Toutefois, aucun des membres de la Société de Lilienthal n’eut la satisfaction de la découverte, puisque moins de trois mois après la fondation du groupe et ledébut des recherhces, Giuseppe Piazzi, basé à Palerme, cherchant le 1er Janvier 1801 une petite étoile cataloguée dans l’épaule du Taureau, la découvrit précédée d’une autre, de magnitude plus faible. L’observant de nouveau le 2 Janvier, il découvrit qu’aucune des coordonnées qu’il lui avait assignées ne correspondait plus.Il crut d’abord à une erreur, puis se ravisa et pensa qu’il avait découvert un nouvel astre. Le soir du 3, il vérifia son hypothèse, mais attendit le 4 pour calculer que l’étoile s’était déplacée de la même façon que les jours précédents.

          Sa découverte fut d’ailleurs due plus à ses méthodes efficaces d’observation qu’à la simple chance. Il pensa d’abord à une comète, c’est d’ailleurs ce qu’il annonça premièrement au public. Mais il garda pour lui que, étant donnée l’absence de nébulosité autour de l’astre, il pouvait s’agir de quelque chose de plus intéressant.

          Il envoya dans ce sens une lettre à Oriani, son plus cher ami, et une autre à Bode, instigateur des recherches, pour leur demander confirmation. Lorsque, le 20 Mars, ce dernier reçut la lettre, il pensa tout de suite à la planète manquante que sa loi empirique avait prévue, et entreprit la démarche hasardeuse de calculer son orbite et même de présenter ses résultats et son hypothèse planétaire à l’Académie de Berlin, dès le 26 Mars. Toujours pour confirmer les résultats, il écrit à Méchain et à von Zach, présentant carrément la planète découverte par Piazzi, et sa distance, 2,75 ua. Ne s’arrêtant pas de si bon chemin il alla jusqu’à annoncer la découverte et ses hypothèses dans les journaux de Berlin et à présenter comme sienne l’hypothèse planétaire.

4. Réactions de la communauté astronomique

          Pendant ce temps, Piazzi communique ses observations sur l’astre qu’il continue à appeler prudemment « comète » à Lalande, Oriani mais pas à Bode, de peur qu’il ne publie des résultats avant qu’il ne puisse calculer lui-même son orbite ! C’est Oriani qui alertera officiellement la communauté astronomique, pour assurer à son ami la priorité de la découverte. 

Bode s’attirera donc la critique de ses collègues pour son empressement, et Piazzi pour sa prudence à outrance empêchant les astronomes de pousuivre les observations en mars et avril, pendant que lui-même, malade, ne le pouvait pas ! 

La planète, délaissée pendant longtemps, a été perdue !

          On n’en calcule pas moins l’orbite de la nouvelle planète : on essaye un cercle, une parabole, puis une ellipse. Rien n’est encore accepté en août, au moment de la fin du débat sur le nom de la nouvelle planète. En effet, von Zach appelle déjà la planète Héra, fille de Saturne et soeur de Jupiter, Bode propose le même nom en latin, Junon, appuyé par d’autres astronomes. Et malgré la préférence de Napoléon Bonaparte pour Junon, Piazzi tranchera avec Cérès,déesse de l’agriculture et protectrice de la Sicile, ajoutant qu’ils ont bien de l’audace de vouloir baptiser l’objet de la découverte d’autrui!

          C’est finalement Gauss, un jeune mathématicien ayant entendu comme les autres la nouvelle de la découverte, qui s’attaqua au problème de l’orbite avec le plus d’intérêt. En novembre, grâce à ses calculs impressionnants d’ingéniosité, il communique à von Zach, puis à Piazzi son résultat : une ellipse assez différente que celle calculée pendant l’été. Von Zach la décrit comme “parfaite”. Le 7 décembre 1801, grâce à Gauss, on retrouve enfin Cérès. La planète est alors acceptée comme telle par la communauté scientifique.

5. Planètes ou astéroïdes

          Mais après la découverte par Olbers en 1802 d’un second astre, Pallas, dans la même région du ciel, on commença à se poser des questions sur la découverte de Piazzi : deux « planètes », de taille extrêmement petite, dans la même région du système solaire?

          C’est le découvreur d’Uranus, Herschel, qui dans un éclair de génie, reconnut tout de suite qu’on avait découvert une nouvelle classe de corps célestes : plus petits que les planètes, d’orbite plus inclinée sur le plan de l’écliptique que celles des planètes. Piazzi, craignant qu’on ne diminue l’ampleur de sa découverte, fut le premier à réagir à l’encontre de la théorie de Herschel selon laquelle une troisième classe de corps du Système Solaire, les Astéroïdes, vient s’ajouter aux planètes et aux comètes. Mais la flatteuse réponse de son adversaire, lui attribuant l’entier mérite de la découverte de cette nouvelle classe, calma un peu ses protestations.

          Piazzi et les autres n’accepteront pas la vérité avant la découverte de Vesta et de Junon. L’opinion de Herschel se révèlera alors justifiée

Olbers, lui, émettra une autre hypothèse concernantla formation des astéroïdes, celle de la planète réduite en fragments par une catastrophe. On ne pourra pas la vérifier, la destruction d’une planète étant assez étrange à concevoir pour les scientifiques !

          En tous les cas, nous connaissons aujourd’hui plus de dix mille de ces astéroïdes répartis dans tout le Système Solaire, leur nombre ne cessant de croître. Et ces découvertes sont bien sûr dues à Titius pour sa loi empirique décidément utile, à Bode pour son enthousiasme presque intempestif, à Piazzi pour ses méthodes d’observation avant-gardistes, à Gauss pour ses calculs ingénieux, et à Herschel pour son intuition géniale.

          Sans ces hommes, sans leurs erreurs, plus tard corrigées, sans leur intérêt pour l’astronomie, cette aventure des astéroïdes qui dure depuis déjà deux cents ans n’aurait pas été possible...